Le Mois du film documentaire est une opération internationale qui se déroule depuis l’année 2000, à chaque mois de novembre. C’est «un rendez-vous incontournable pour découvrir des films et échanger ses idées sur le monde… ».

En France, le Mois du film documentaire se passe dans 700 bibliothèques, 350 cinémas, plus d’une centaine d’écoles, collèges, lycées et universités, plus de 500 établissements culturels et associations et une centaine de structures sociales. Chacun imagine un programme thématique, choisit les films et organise ses séances, en toute autonomie ou bien en s’appuyant sur les propositions d’Images en bibliothèques. L’idée est de promouvoir le documentaire de création car il est peu représenté à la télévision et en salles de cinéma, malgré les efforts de nombre de partenaires.

De nombreuses projections sont accompagnées d’événements tels que des débats, des expositions, des ateliers pratiques, des conférences, etc.

Chaque année, plusieurs films sont proposés sur le territoire Normandie Sud Eure (médiathèques et cinéma).

© Keren Production

En 2018, à l’occasion de la 19ème édition, je suis allée assister à l’une des 46 séances programmées dans le département de l’Eure. J’ai retenu le choix de la médiathèque Le Kiosque de Breteuil « Quand j’avais 6 ans, j’ai tué un dragon », réalisé par Bruno Romy. Il raconte l’histoire de sa fille, Mika, atteinte d’une leucémie et de leur combat contre cette maladie. En tant que mère, ce sujet m’attire et me fait peur à la fois. Mais le documentaire est présenté comme « un carnet de bord coloré, singulier, plein d’humour et de poésie » . La présence annoncée du réalisateur, permettant un débat sur le sujet, achève de me convaincre.

Me voilà donc en route pour cet événement. La nuit est tombée, le brouillard et les manifestations de gilets jaunes n’auront pas raison de ma motivation. La médiathèque est un bâtiment moderne et fonctionnel, cachée au fond d’une ruelle à sens unique, implantée au bord d’un magnifique jardin public de plusieurs hectares.

A mon arrivée, le lieu est calme et silencieux. Je suis un peu en avance. Les deux bibliothécaires m’accueillent avec le sourire. Une table est dressée à l’entrée de la pièce. Ce qui me laisse présager un verre de l’amitié en fin de séance. La salle de projection est petite et intimiste. Les gens arrivent peu à peu et nous sommes invités à nous installer dans la salle de projection. L’ambiance est conviviale. Parmi le public se trouve des bibliothécaires venant d’autres communes, une professeure des écoles et ses filles adolescentes, une bande de copines qui profitent de cette soirée pour passer un bon moment ensemble. Il y a aussi des femmes et des hommes de tous âges, qui semblent familiers de la médiathèque ou du festival.

Une bibliothécaire nous remercie de notre présence et introduit Bruno Romy et sa famille, qui nous font l’honneur d’être présents ce soir. Le réalisateur, un homme simple et sympathique, devance la question qu’on lui pose régulièrement en nous disant que Mika, ici présente, est aujourd’hui en bonne santé. Il n’en dit pas plus et nous souhaite une agréable projection.

La lumière s’éteint et le film commence. Le documentaire alterne des séquences intimes et émouvantes avec des scènes burlesques et légères. On suit le parcours de cette famille depuis l’annonce de la maladie, l’hospitalisation, jusqu’au début de la rémission et le retour à l’école.

« Quand j’avais 6 ans, j’ai tué un dragon » © Keren Production

Au générique de fin, personne n’ose bouger. Certains essuient quelques larmes, d’autres sont plongés dans une intense réflexion. Les lumières se rallument et Bruno Romy et sa famille s’installent sur des tabourets face au public. Ils attendent les premières questions. Un silence gênant se fait… Le réalisateur nous met à l’aise en expliquant que « ça fait toujours ça après chaque séance ! » Je sourie.

Un homme se lance et les félicite simplement de la réalisation de ce documentaire. Aussitôt, les applaudissements retentissent et l’on sent que toute l’assemblée approuve ! Au fil des questions, on apprendra que ce documentaire a été d’abord conçu comme un outil pour répondre aux angoisses et interrogations des camarades de classe de Mika. Puis le projet a pris de l’ampleur et France Télévision l’a soutenu. Le court métrage est passé de 25 à 70 minutes avant d’être diffusé sur France 2 en février 2016. Philippe Katerine, dont la jeune Mika écoutait les chansons en boucle lors de son hospitalisation, signe la bande originale du film.

C’est Bruno Romy, réalisateur de comédies burlesques (dont Rumba, avec Dominique Abel, Fiona Gordon, 2008), qui est à l’origine de ce projet avec pour seule motivation de créer un outil pédagogique. Sa femme s’est prêtée au jeu. Sa fille a suivi l’idée sans bien comprendre l’objectif, à l’époque.

Aujourd’hui, Bruno Romy se bat pour faire connaître son documentaire et le faire circuler au sein du corps médical et enseignant. Un travail pas toujours facile puisque l’homme se heurte à des personnes qui craignent de choquer les familles face à ce sujet encore trop tabou qu’est la maladie chez l’enfant. On apprendra que depuis une quinzaine de jours, ce documentaire est soutenu par l’association Sparadrap qui a pour but de guider les enfants dans le contexte des soins médicaux et hospitaliers. Il sera inclus dans le kit offert aux parents d’enfants atteints de leucémie.

Les bibliothécaires de la médiathèque nous invitent à poursuivre notre conversation autour d’un verre de jus de pomme ou de cidre. Le contexte, plus détendu, permet alors à chacun de poser les questions qu’il souhaite de manière plus discrète. Les langues se délient et certains confient avoir côtoyé des familles vivant cette expérience de la maladie et ne pas oser les questionner ou comprendre leur quotidien. D’autres envisagent de faire découvrir ce documentaire à tel ou tel établissement scolaire pour y envisager une projection publique.

J’approche timidement le réalisateur et lui demande si, aujourd’hui, Mika garde une certaine crainte des hôpitaux. Bruno Romy m’apprend que, il y a peu, du haut de ses 12 ans, elle leur a appris qu’elle souhaitait devenir médecin ! Souhaitons-lui qu’un jour, elle saura chuchoter à l’oreille d’un enfant « Quand j’avais 6 ans, j’ai tué un dragon. Aujourd’hui, je vais t’aider à combattre le tien ».

© OT Normandie Sud Eure

Le Mois du film documentaire est donc un événement permettant de découvrir des œuvres audiovisuelles et leurs réalisateurs, mais pas seulement. Il rassemble la population autour de sujets divers et variés, graves ou légers. Il interpelle l’individu sur une facette de la société ou de l’histoire rarement abordée dans les médias. Enfin, et c’est particulièrement le cas ici, il permet d’aborder des sujets parfois tabous et offre des passerelles, au fil des rencontres, pour promouvoir l’œuvre auprès de nouveaux publics.